mercredi 20 mai 2009

Du méthane pour les pauvres



Dimanche j'ai suivi tout l'après-midi un drôle de zigoto, un ingénieur américain d'origine syrienne, débordant d'énergie, d'enthousiasme, assez drôle. Inspiré, comme il l'a confié lui-même à la fin de la journée au journaliste d'ABC venu de Londres faire un sujet sur ses projets saugrenus.
Le monsieur en question, Thomas Taha Rassam Culhane, qui a vécu cinq ans au Caire, a en effet décidé de convertir à l'énergie propre les habitants de deux quartiers pauvres du Caire, Manshiet Nasser (quartier de zabbalines) et Darb Al Ahmar (quartier historique adossé aux murailles médiévales).
Ce Géo Trouvetou du développement durable a commencé par les panneaux solaires - une trentaine ont fleuri sur les toits de ces deux quartiers pour chauffer l'eau des habitants - avant de se lancer dans le gaz produit à partir de déchets organiques. Non, il ne s'agit pas d'une périphrase timide pour désigner le caca. On nourrit principalement la machine à gaz de restes de nourriture. En échange elle donne du méthane, qui alimente la cuisinière. Bon, c'est vrai qu'il faut d'abord la remplir de fumier animal pendant quelques semaines pour que les mignonnes petites bactéries apparaissent...



Thomas Culhane salue un ferronnier qu'il a fait travailler pour les panneaux solaires.
Sous le regard d'ABC et d'un gamin fasciné par la caméra.


La prochaine étape, pour Thomas, c'est d'installer des petites éoliennes sur les toits, pour que les habitants deviennent en fin de compte autonomes en énergie. C'est vrai que le vent souffle constamment au Caire... "Un champ d'éoliennes sur le Muqattam (la colline qui surplombe Manshiet Nasser), ça c'est mon rêve", déclare-t-il les yeux plein d'étoiles.

Dans cette drôle d'odyssée, un des trucs les plus drôles a été de voir les mecs d'ABC - le journaliste et le JRI étaient français, chapeau! - tourner leurs plateaux "in situ" : des jeunes du quartier sont venus se percher sur les énormes sacs de déchets derrière le journaliste, sans que personne ne leur ait rien demandé! Ils avaient compris d'eux-mêmes comment faire "plus vrai", plus "couleur locale", comment jouez leur propre rôle en somme... ah, la Société du Pestacle, qu'il disait.



"We are in one of the most poor areas in Cairo, yet some people here are looking towards a greener future..." (ou quelque chose comme ça)

Il y avait aussi Kiyoko, une Américaine d'origine japonaise de la Banque Mondiale (j'avais un mal fou à la comprendre). Une petite dame discrète, qui semblait étourdie par toute cette misère. "Ah bon, vous avez commencé à trier les déchets à 7 ans!! Oh la la! Votre femme s'occupe des enfants des rues!! Mon Dieu! Et vous avez aussi donné des cours à de jeunes handicapés mentaux!"
Pierre, un entrepreneur égyptien plutôt jovial, était de l'équipée. Il est arrivé au rendez-vous dans son 4X4 intérieur cuir (conduit par un chauffeur, cela va sans dire), les mocassins cirés et le téléphone oreillette fiché sur le lobe. C'est un ami d'Omar, l'ingénieur égyptien impliqué dans le projet. Avant de se lancer dans l'énergie verte, Omar a travaillé pour une société pétrolière en Australie...
L'entrepreneur donc, un homme d'une trentaine d'années qui parlait parfaitement français - avec un accent pied-noir (!) - traversait pour la première fois la Cité des morts, et pénétrait pour la première fois dans le quartier des chiffonniers. Vous me direz, si l'on est pas un journaliste ou un étranger curieux, pourquoi diable aller fourrer son nez là où ça sent mauvais? Lui venait pour voir ce qu'on pouvait tirer de la machine à gaz écolo, niveau business.

Mais une chose rassemble les Egyptiens (enfin, ceux qui voyagent) : les contrôles douaniers en arrivant aux Etats-Unis. Malgré ses yeux bleus et son prénom très chrétien, Pierre raconte en se marrant qu'il a systématiquement droit au "veuillez me suivre", pour quelques minutes d'interrogatoire dans une salle spéciale, quand il débarque dans un aéroport américain.



Manshiet Nasser, ses monceaux de déchets, ses chèvres perchées au 6e étage...

Bref, tout ça était très intéressant. Pourtant à la fin de la journée, je me demandais toujours : au fait... est-ce que ce système de biogaz est intéressant financièrement pour les habitants de Manshiet Nasser et Darb al Ahmar? Si on leur donne grâcieusement la machine à gaz, comme c'est le cas pour Hanna Fathy (ci-dessous avec sa môman), et Hussein Souleiman, les deux "cobayes" de cette expérience écologique, c'est effectivement rentable. Mais d'après mes calculs, si les habitants paient ne serait-ce que 300 livres (environ 50 euros), soit l'équivalent, pour beaucoup, de leur revenu mensuel, sur les 1000 livres que coûte la machine, elle ne deviendra moins chère que les "emboubas" (bouteilles de gaz) qu'après deux ans et demi. C'est un peu long, non? Se dire que l'on fait du bien à la couche d'ozone ne doit pas vraiment suffire...





Sur ces interrogations, je vais dormir un peu pour m'envoler bientôt sereinement vers la Mère-Patrie.



2 commentaires:

  1. Bonjour,


    Je me permets de vous contacter à propos de paspourdesprunes.com, un site de témoignages sur les cultures et les coutumes de tous les pays que je viens de lancer. Ce site rencontre de nombreux visiteurs car il ne ressemble à aucun autre. C’est une vitrine pour les blogueurs et une source d’informations sur les cultures d’ailleurs pour les curieux et Français vivant à l’étranger.

    En parcourant votre blog je me demandais si vous m'autoriseriez à en publier des extraits (en vous citant bien sûr et en apposant un lien...).

    En vous remerciant de l'attention que vous pourrez porter à paspourdesprunes,


    Au plaisir de vous lire,

    Julie Deffontaines
    http://www.paspourdesprunes.com
    julie@paspourdesprunes.com

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