Depuis dix jours, la planète journalistique cairote tourne autour du cochon. Le 29 avril dernier, le gouvernement égyptien a en effet décidé d'abattre tout le cheptel du pays.
D'abord annoncée comme un acte de prévention face aux risques de transmission de la grippe dite "porcine", la décision a finalement été présentée par les autorités comme une mesure de "santé publique", une fois que l'Organisation mondiale de la santé avait rappelé qu'aucun malade n'avait été contaminé par les porcs, et que cette mesure était inutile pour combattre le virus H1N1. Aucun cas de grippe A n'a pour l'instant été recensé en Egypte.
Le gouvernement dit vouloir éradiquer les élevages sauvages du pays pour installer, dans un an ou deux, des élevages respectant les règles d'hygiène internationales.
Le week-end dernier, de violents affrontements ont opposés les forces de l'ordre aux éleveurs cairotes qui refusaient de livrer leurs bêtes. J'ai fait un papier pour La Croix sur le sujet, paru mardi. A lire aussi le reportage de Ludovic Gonty sur le site de Ouest France.
Ma première réaction a été de voir dans cette décision une tentative du pouvoir de s'attirer les bonnes grâces des islamistes : les jours précédents l'annonce, de nombreux députés de l'Assemblée du Peuple, notamment ceux proches des Frères musulmans, avaient réclamé à cor et à cri l'éradication des porcs du pays, élevés en majorité par les zabalines, des chiffonniers, coptes pour la plupart (minorité chrétienne qui représente 7 à 10% de la population égyptienne).
Mon interprétation était un peu simpliste... J'ai perçu au fur et à mesure la complexité de la décision. Plusieurs causes entrent en jeu, et je ne connais probablement pas assez bien l'Egypte pour toutes les comprendre. Mais l'une d'elles me paraît maintenant essentielle : la volonté du gouvernement de se débarrasser, à terme, du système des zabalines, qui collectent et trient une grande partie des déchets de la capitale égyptienne. L'objectif est de les remplacer par des sociétés privées, considérées comme plus propres, plus modernes. Elles sont d'ailleurs présentes sur le marché du ramassage des ordures du Caire depuis 2000, suscitant de nombreux conflits avec les zabalines. Et cela n'a rien à voir avec la religion des chiffonniers et des éleveurs de porcs, dont quelques-uns sont d'ailleurs musulmans. L'Etat égyptien avait depuis des années le projet de déplacer ces cochons, et l'occasion était trop belle.
"Avant on collectait les poubelles dans les immeubles, maintenant ce sont des sociétés qui le font", racontait ainsi lundi dernier Oum Samae, une habitante du Muqattam, un des quartiers de chiffonniers du Caire. Dans une cour attenante à sa maison de bric et de broc, elle élève une cinquantaine de porcs. Ses enfants gambadent pieds nus parmi les déchets qui tapissent le sol de la bicoque. Comme dans tout le quartier, les cochons sont nourris avec les ordures organiques collectées dans les poubelles du Caire. Ils constituent un maillon essentiel dans la chaîne du recyclage.
"La semaine dernière, à Sayyeda Zeinab (quartier du centre du Caire) des policiers ont confisqué la carriole de mon fils Faouzi. Ils ont dit que c'était interdit en ville. C'est avec cette cariole, tirée par un âne, qu'il ramenait les poubelles jusqu'ici. Maintenant il reste à la maison toute la journée", raconte encore Oum Samae. Petit à petit, les zabalines voient ainsi leurs moyens de subsistance disparaître. On comprend qu'ils finissent pas se sentir persécutés, même s'il ne s'agit pas de religion.
Bien sûr, en lançant cet abattage massif des porcs, le pouvoir savait qu'il n'aurait pas trop de mal à convaincre les Egyptiens du bien fondé de la mesure. D'autant que les médias ont, dans un premier temps, abondé dans son sens, désignant le porc comme vecteur de la maladie. La semaine dernière, les Egyptiens musulmans à qui je "révélais" que la maladie se transmettait en fait d'homme à homme avaient bien du mal à me croire.
Les arguments sanitaires ne sont pas pour autant sans fondement : certains scientifiques parlent d'un risque de recombinaison du virus de la grippe aviaire à l'intérieur du cochon, qui permettrait ensuite sa transmission d'homme à homme (voir le petit schéma sur le site du CNRS). Dans un pays fortement touché par la grippe aviaire - 69 cas humains, dont 26 mortels depuis 2006-, et alors que les porcs des chiffonniers vivent souvent à proximité des poulets et jamais très loin des hommes, il y a de quoi s'inquiéter, certes. De là à abattre tout le cheptel porcin d'un coup d'un seul...
On annonçait samedi que 11 591 porcs avaient pour l'instant été éliminés. Mais l'opération d'éradication du cochon égyptien a des chances de finir en eau de boudin. Pour l'instant, la capacité des deux abattoirs de porcs du pays (l'un au Caire et l'autre à Alexandrie) ne dépasse pas 2000 bêtes par jour. L'Egypte devrait donc mettre au moins cinq mois à éradiquer ses quelques 300 000 porcs. Les chambres froides aussi ont une capacité limitée, et les éleveurs ne parviennent plus à vendre la viande.
Pour accélérer le rythme, le gouvernement a annoncé l'importation prochaine de trois nouvelles machines. "Il n'y a que 156 000 cochons en Egypte", vient également de faire savoir Saber Abdel Aziz, porte-parole du ministère de l'Agriculture. Pour pouvoir s'arrêter à mi-chemin? Ce serait un moindre mal pour les quelques 50 000 éleveurs de porcs égyptiens qui ont peur que les compensations promises - 100 livres (14 euros) pour un porc et 250 livres (34 euros) pour une femelle - ne leur parviennent jamais. Et surtout ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins une fois leur gagne-pain disparu.
D'abord annoncée comme un acte de prévention face aux risques de transmission de la grippe dite "porcine", la décision a finalement été présentée par les autorités comme une mesure de "santé publique", une fois que l'Organisation mondiale de la santé avait rappelé qu'aucun malade n'avait été contaminé par les porcs, et que cette mesure était inutile pour combattre le virus H1N1. Aucun cas de grippe A n'a pour l'instant été recensé en Egypte.
Le gouvernement dit vouloir éradiquer les élevages sauvages du pays pour installer, dans un an ou deux, des élevages respectant les règles d'hygiène internationales.
Le week-end dernier, de violents affrontements ont opposés les forces de l'ordre aux éleveurs cairotes qui refusaient de livrer leurs bêtes. J'ai fait un papier pour La Croix sur le sujet, paru mardi. A lire aussi le reportage de Ludovic Gonty sur le site de Ouest France.
Ma première réaction a été de voir dans cette décision une tentative du pouvoir de s'attirer les bonnes grâces des islamistes : les jours précédents l'annonce, de nombreux députés de l'Assemblée du Peuple, notamment ceux proches des Frères musulmans, avaient réclamé à cor et à cri l'éradication des porcs du pays, élevés en majorité par les zabalines, des chiffonniers, coptes pour la plupart (minorité chrétienne qui représente 7 à 10% de la population égyptienne).
Mon interprétation était un peu simpliste... J'ai perçu au fur et à mesure la complexité de la décision. Plusieurs causes entrent en jeu, et je ne connais probablement pas assez bien l'Egypte pour toutes les comprendre. Mais l'une d'elles me paraît maintenant essentielle : la volonté du gouvernement de se débarrasser, à terme, du système des zabalines, qui collectent et trient une grande partie des déchets de la capitale égyptienne. L'objectif est de les remplacer par des sociétés privées, considérées comme plus propres, plus modernes. Elles sont d'ailleurs présentes sur le marché du ramassage des ordures du Caire depuis 2000, suscitant de nombreux conflits avec les zabalines. Et cela n'a rien à voir avec la religion des chiffonniers et des éleveurs de porcs, dont quelques-uns sont d'ailleurs musulmans. L'Etat égyptien avait depuis des années le projet de déplacer ces cochons, et l'occasion était trop belle.
"Avant on collectait les poubelles dans les immeubles, maintenant ce sont des sociétés qui le font", racontait ainsi lundi dernier Oum Samae, une habitante du Muqattam, un des quartiers de chiffonniers du Caire. Dans une cour attenante à sa maison de bric et de broc, elle élève une cinquantaine de porcs. Ses enfants gambadent pieds nus parmi les déchets qui tapissent le sol de la bicoque. Comme dans tout le quartier, les cochons sont nourris avec les ordures organiques collectées dans les poubelles du Caire. Ils constituent un maillon essentiel dans la chaîne du recyclage.
"La semaine dernière, à Sayyeda Zeinab (quartier du centre du Caire) des policiers ont confisqué la carriole de mon fils Faouzi. Ils ont dit que c'était interdit en ville. C'est avec cette cariole, tirée par un âne, qu'il ramenait les poubelles jusqu'ici. Maintenant il reste à la maison toute la journée", raconte encore Oum Samae. Petit à petit, les zabalines voient ainsi leurs moyens de subsistance disparaître. On comprend qu'ils finissent pas se sentir persécutés, même s'il ne s'agit pas de religion.
Bien sûr, en lançant cet abattage massif des porcs, le pouvoir savait qu'il n'aurait pas trop de mal à convaincre les Egyptiens du bien fondé de la mesure. D'autant que les médias ont, dans un premier temps, abondé dans son sens, désignant le porc comme vecteur de la maladie. La semaine dernière, les Egyptiens musulmans à qui je "révélais" que la maladie se transmettait en fait d'homme à homme avaient bien du mal à me croire.
Les arguments sanitaires ne sont pas pour autant sans fondement : certains scientifiques parlent d'un risque de recombinaison du virus de la grippe aviaire à l'intérieur du cochon, qui permettrait ensuite sa transmission d'homme à homme (voir le petit schéma sur le site du CNRS). Dans un pays fortement touché par la grippe aviaire - 69 cas humains, dont 26 mortels depuis 2006-, et alors que les porcs des chiffonniers vivent souvent à proximité des poulets et jamais très loin des hommes, il y a de quoi s'inquiéter, certes. De là à abattre tout le cheptel porcin d'un coup d'un seul...
On annonçait samedi que 11 591 porcs avaient pour l'instant été éliminés. Mais l'opération d'éradication du cochon égyptien a des chances de finir en eau de boudin. Pour l'instant, la capacité des deux abattoirs de porcs du pays (l'un au Caire et l'autre à Alexandrie) ne dépasse pas 2000 bêtes par jour. L'Egypte devrait donc mettre au moins cinq mois à éradiquer ses quelques 300 000 porcs. Les chambres froides aussi ont une capacité limitée, et les éleveurs ne parviennent plus à vendre la viande.
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