dimanche 5 avril 2009

Le 6 avril n'a pas eu lieu

J'aurais voulu vous raconter mon week-end, passé entre les poubelles des zabbalyn (les chiffonniers du Caire, qui collectent et recyclent une bonne partie des déchets de ses 17 millions d'habitants)


et les bulles de savon de mon premier mariage égyptien,



mais me voilà rattrapée par l'actualité. Hier, lundi 6 avril, c'était la "journée de la colère". Comme l'année dernière, les opposants à Moubarak ont lancé un appel à la grève générale. Partis politiques, syndicats, étudiants et "cyber-dissidents" réclamaient une augmentation du salaire minimum (de 22 euros à ... 159 euros), et demandaient la fin de la corruption étatique, du trucage des élections, de la torture en prison... En clair, un changement de régime. Les Frères Musulmans, après avoir tergiversé, avaient déclaré soutenir la grève, précisant qu'ils exprimeraient ce soutien "à leur manière".
Finalement, peu de manifestations ont eu lieu. Des rassemblements de 200 ou 300 personnes (devant le syndicat des journalistes, à l'université du Caire, voir ci-dessous) ont été bien "encadrés" par les forces de l'ordre. Une trentaine d'activistes avaient déjà été arrêtés ces derniers jours. En fait de grève, les rues du Caire étaient hier presque aussi congestionnées qu'à l'habitude. Dans le centre, des camions de police étaient postés tous les 100 mètres. Attendant une improbable émeute, des officiers aux épaulettes étoilées buvaient le thé à chaque carrefour, pendant que leurs subordonnés s'occuper des querelles d'automobilistes.

L'année dernière, le contexte de hausse du prix du pain avait largement joué en faveur du mouvement. A l'origine, les 27 000 ouvriers de l'usine textile de Mahalla el Kubra, dans le Delta du Nil, réclamaient une augmentation de salaire. De jeunes Egyptiens avaient alors lancé l'idée d'une grève générale, et créé un groupe "April 6 Youth " sur Facebook. En quelques jours, plus de 75 000 personnes étaient devenues membres. Le jour J, des rangées de "CRS" avaient dissuadé ou dispersé tout rassemblement. Mais Le Caire était particulièrement calme : une partie de la population avait décidé de répondre à l'appel et de rester à la maison.
A Mahalla el Kubra, en revanche, les manifestations avaient tourné à l'émeute : trois personnes avaient été tuées et des centaines d'autres blessées. Aujourd'hui, certains ouvriers sont toujours en prison pour avoir participé à la manif de l'an dernier. Quelques uns ont entamé une grève de la faim pour protester contre les mauvais traitements dont ils sont victimes. Hier, presque personne ne s'est risqué à défier le pouvoir dans la ville industrielle du Delta...

Dans l'après-midi, je suis quand même allée faire un tour à l'université du Caire, où quelques 200 étudiants protestaient vaillamment.


Une bonne partie d'entre eux étaient membres de la branche étudiante des Frères musulmans (le petit livre que le manifestant tient dans sa main gauche sur la photo, c'est un Coran). A la fin de la manifestation, des étudiants lambda viennent écouter les discours des leaders du groupe. "Lui, les flics vont le faire asseoir sur une bouteille de Pepsi!" s'exclame l'un d'eux en désignant celui qui harangue la foule. Une manière plus ou moins élégante d'évoquer le viol, pratique courante dans les commissariats égyptiens, utilisée notamment contre les opposants au régime. On comprend ensuite pourquoi, quand on lui demande ce qu'il pense de cette manifestation, il répète en souriant : "Moi je regarde, c'est tout."

Pour la révolution en Egypte, il va donc falloir attendre encore un peu...


>>> Pour une analyse avertie de l'échec de la grève, lire le billet de Claude Guibal, la correspondante de Libération au Caire.

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