Un article paru dans le journal francophone égyptien Al Ahram Hebdo raconte comment les marchands de dattes - aliment star du mois de Ramadan - attribuent des noms de personnalités politiques, sportives ou du show bizz à leurs produits, selon leur qualité. Ainsi, le journaliste nous apprend que cette année, "Barack Obama" désigne une excellente variété de datte, la plus chère du marché qu'il a visité.
Or le nom donné aux précieux fruits n'a rien d'une plaisanterie : "Chaque année, les grands marchands de dattes se rencontrent pour choisir les noms des personnalités. C'est un moyen pour attirer les clients et promouvoir les produits. Cette habitude existe depuis les années 1980", explique Abdallah, l'un des commerçants, au journaliste de Al Ahram Hebdo.
Les années précédentes, les meilleures dattes se nommaient Hassan Nasrallah (du nom du chef du Hezbollah libanais), ou Ben Laden, quand les fruits de mauvaise qualité étaient affublés du nom infâme de "Bush". C'est dire si les temps changent...
samedi 5 septembre 2009
dimanche 19 juillet 2009
Les vacances
Bien occupée entre mes cours d'arabe quotidiens - depuis 10 jours - et les amis en visite, je délaisse un peu ce blog. En attendant un vrai billet, voilà une image.
Je l'ai croisée pendant un reportage sur le pain subventionné en Egypte, elle passait le balai dans une boulangerie publique du Caire et transportait sur sa tête des palettes chargées de galettes de pain. Elle devait avoir 11 ou 12 ans. Elle m'a demandé de la prendre en photo, et a tourné son regard doux et profond vers l'objectif. Sous l'oeil attentif de la "dame en vert" (à gauche), qui était peut-être sa mère.
Je me suis beaucoup promenée dans les rues du Caire ces derniers jours, et les enfants travailleurs semblent plus nombreux que jamais. Probablement parce que c'est les vacances... Dans le quartier informel de Ezbet El Hagannah, El Shehab, une association locale, et Asmae organisent depuis 2005 un camp d'été de trois semaines en juillet. "Il a d'abord été difficile de convaincre les familles d'autoriser leurs enfants à venir à l'association plutôt que d'aller travailler", raconte Ali, le responsable du camp. "Mais maintenant les parents savent que leurs enfants apprennent des choses ici et qu'ils sont heureux quand ils rentrent chez eux. Nous n'avons plus besoin de les convaincre." Peinture, films d'animation, pâte à modeler, théâtre et excursion à la mer... le programme a de quoi faire rêver plus d'un enfant mécanicien ou ramasseur d'ordures.
dimanche 28 juin 2009
Le vieil homme et les livres
Le personnage semble tout droit sorti de Mendiants et Orgueilleux d'Albert Cossery. De ces "gueules" que l'on croise tous les jours dans les rues du Caire, et avec qui on aimerait palabrer un peu, rien que pour voir si leur verve correspond à leur allure magistrale.
Une journaliste de La Croix m'a demandé un témoignage d'un commerçant égyptien, pour sa série d'été sur les marchés en Méditerranée. J'ai proposé un bouquiniste, parce que le marché aux livres de l'Ezbékiya est un peu une institution au Caire, et que l'idée me semblait assez représentative de l'Egypte, pays littéraire s'il en est. J'y suis partie hier avec Fatma, ma traductrice.
Une fois sur place, on aperçoit tout de suite le "bon client". Un vieil homme au teint buriné trône devant sa boutique, étonnamment claire et bien rangée. "Min Fransa? Ah, Napoleon!" s'exclame-t-il d'abord quand je lui dis que je suis française, comme beaucoup d'Egyptiens.
Puis il enchaîne, très fier, tout en lissant sa barbe hirsute : "Les bouquinistes de Sour El Ezbékiya sont les premiers qui aient exister, avant ceux de Londres et ceux des bords de Seine à Paris." (Nota bene : après une petite vérification sur Google, les bouquinistes parisiens s'installent sur les quais au XIXe siècle, tandis que ceux du Caire ont fait parler d'eux pour la première fois en 1949, d'après un article d'Al Ahram Hebdo... Mais peu importe la réalité, pourvu que l'on ait le récit!)
"Je travaille ici depuis 35 ans. Je vends des livres anciens, dans toutes les langues, sur tous les sujets. Je ne suis pas allé longtemps à l'école, j'ai appris à lire en travaillant ici, quand j'étais déjà adulte. Ne vous fiez pas à ma galabiya, je suis un homme très cultivé", dit-il en chaussant ses vieilles lunettes seventies d'un air grave.
"J'ai appris tout ce que je sais en lisant. Par exemple, c'est grâce aux livres que je connais l'histoire de Napoléon et que je sais qu'il y a un journal en France qui s'appelle Le Figaro. Avant les intellectuels et les grands écrivains égyptiens venaient chercher des livres ici. Maintenant il y a beaucoup moins de clients. Ce sont des égyptiens ou des étrangers, souvent des étudiants." Pas très loin, trois étudiantes de l'université islamique d'Al Azhar, apparemment indonésiennes, entrent dans un autre kiosque de bouquiniste avec une liste d'ouvrages religieux à acheter.
"Au temps du roi Farouk, les Egyptiens venaient acheter des livres ici parce qu'ils voulaient se cultiver, pour grimper dans l'échelle sociale. Puis sous Nasser, les pauvres se sont tournés vers le communisme, et les bouquinistes ont vendu des livres sur l'URSS."
Entre deux tirades, Mohamed Abou Rami - c'est le nom de notre bouquiniste - ne perd pas le nord. "Je veux 50 francs. Dis-lui qu'elle doit me donner 50 francs", répète-t-il à Fatma, qui fait mine d'ignorer la requête. Au troisième assaut, elle finit par lui dire : "Mais ça n'existe plus les francs! C'est les euros maintenant", avec un sourire. J'ajoute, en essayant d'avoir l'air ferme : "Non, ce n'est pas possible". Et là il sourit à son tour : "C'était une plaisanterie. Si je voulais vraiment de l'argent, je demanderais des euros bien sûr!" Admirez la pirouette...
Pour finir, on lui demande ce qu'il lit en ce moment. Un livre de poche, avec Clint Eastwood brandissant son colt sur la couverture, est ouvert devant lui. "C'est un roman policier. Mais je lis aussi un livre sur Kennedy. Vous savez, il voulait passer un accord avec Nasser, mais ça n'a pas marché à cause des Israéliens." Ah bon... Histoire ou littérature, je vous laisse juge!
jeudi 11 juin 2009
Rue Saad Zaghloul
Me revoilà "à la maison"... Quelques brèves...
L'avion du retour était presque vide. J'avais trois sièges pour moi, comme mon lointain voisin de droite, un jeune type, européen (français?), la tête rasée et arborant une fine barbe. Pendant le vol, il a fait deux fois sa prière, assis à sa place, en appuyant son front contre le siège de devant aux moments où la tête doit toucher le sol.
L'avion est arrivé au Caire vers 20h. C'était magnifique, le jeune islamiste avait comme moi le nez scotché au hublot. La lumière rasante illuminait les villages et les cultures du Delta du Nil, puis on a débouché sur la ville, c'était impressionnant. Les méandres du Nil, majestueux, puis l'immeuble de la télévision, la tour du Caire, les grands hôtels... Voir tous ces bâtiments connus "d'en-haut", ça faisait tout drôle.
Surtout j'avais l'impression que l'on volait en rase-motte, et j'étais partagée entre l'émerveillement et la crainte que l'on soit tout à coup obligés d' atterrir sur les toits d'un quartier informel...
Le lendemain, en ouvrant mes volets, j'ai découvert que les arbres de ma rue s'étaient couverts de fleurs rouges.
Quelques jours après mon retour, je vais faire mon marché. Je suis assez contente de retrouver mes "petits commerçants", qui me saluent chaleureusement : "inti seferti?" (tu étais en voyage?). Je me sens presque "chez moi" lorsqu'une femme qui fait aussi ses courses me demande comment je cuisine mes aubergines et mes courgettes!! Le comble de la khawagat (étrangère)! Quand je lui dis -en égyptien petit nègre- que je cuisine tout ensemble avec de l'huile d'olive, elle dit "aah". Comme elle porte un niqab (voile noir qui ne laisse apparaître que les yeux), je ne peux pas vraiment juger à son visage si ce son exprime l'incrédulité ou la moquerie...
Ces jours-ci, en marchant sur les trottoirs du Caire, on reçoit des petites gouttes fraîches. On pense d'abord à une pluie miraculeuse, puis en levant le nez, on s'aperçoit que c'est l'armée de climatiseurs fichés dans les murs des immeubles qui gouttent avec régularité, jusqu'à former de petites flaques sur le bitume.
Que s'est-il passé en mon absence? Oh, trois fois rien, la visite du président américain le plus populaire de l'histoire, venu faire un petit discours pour refonder des relations entre les Etats-Unis et les Musulmans. Hum... J'ai suivi ça de loin. J'avais lu dans les reportages de mes confrères que les Egyptiens étaient globalement bien disposés, mais attendaient de voir, ne croyant pas Obama sur parole.
Ma prof d'arabe, Nagat, m'a livré sa vision des choses : "Dans la rue, pendant le discours, c'était comme quand il y a un match de foot important : tout le monde s'est agglutiné devant des téléviseurs posés dehors, les commerçants ont délaissé leur magasin pour venir écouter Obama. A la radio, ils diffusaient la chanson de la Coupe d'Afrique des nations (gagnée l'année dernière par l'Egypte), ils avaient changé les paroles pour célébrer Obama. Le lendemain, un journal titrait "Obama El Mountathar" (le messie). Maintenant les gens dans la rue sont plein d'espoir par rapport aux Etats-Unis, c'est vraiment nouveau", m'a-t-elle assuré.
Ma rue à moi, la dénommée Saad Zaghloul (prononcer Zarrloul), est fidèle à elle-même. Les hommes continuent à fumer la chicha sur ses trottoirs ombragés dès tôt le matin, et continuent à me suivre du regard quand je passe entre leurs petites tables. Les gamins jouent toujours au ballon, ou à martyriser le petit chien blanc - une sorte de husky égyptien, original- qui semble enfin commencer à grandir.
Et le vendredi matin, le marchand de légumes ambulant pousse toujours de grands cris pour avertir qu'il ne passera pas deux fois, pendant que sa petite aide grimpe les étages pour amener les commandes aux clients.
mercredi 20 mai 2009
Du méthane pour les pauvres
Dimanche j'ai suivi tout l'après-midi un drôle de zigoto, un ingénieur américain d'origine syrienne, débordant d'énergie, d'enthousiasme, assez drôle. Inspiré, comme il l'a confié lui-même à la fin de la journée au journaliste d'ABC venu de Londres faire un sujet sur ses projets saugrenus.
Le monsieur en question, Thomas Taha Rassam Culhane, qui a vécu cinq ans au Caire, a en effet décidé de convertir à l'énergie propre les habitants de deux quartiers pauvres du Caire, Manshiet Nasser (quartier de zabbalines) et Darb Al Ahmar (quartier historique adossé aux murailles médiévales).
Ce Géo Trouvetou du développement durable a commencé par les panneaux solaires - une trentaine ont fleuri sur les toits de ces deux quartiers pour chauffer l'eau des habitants - avant de se lancer dans le gaz produit à partir de déchets organiques. Non, il ne s'agit pas d'une périphrase timide pour désigner le caca. On nourrit principalement la machine à gaz de restes de nourriture. En échange elle donne du méthane, qui alimente la cuisinière. Bon, c'est vrai qu'il faut d'abord la remplir de fumier animal pendant quelques semaines pour que les mignonnes petites bactéries apparaissent...
Thomas Culhane salue un ferronnier qu'il a fait travailler pour les panneaux solaires. Sous le regard d'ABC et d'un gamin fasciné par la caméra.
La prochaine étape, pour Thomas, c'est d'installer des petites éoliennes sur les toits, pour que les habitants deviennent en fin de compte autonomes en énergie. C'est vrai que le vent souffle constamment au Caire... "Un champ d'éoliennes sur le Muqattam (la colline qui surplombe Manshiet Nasser), ça c'est mon rêve", déclare-t-il les yeux plein d'étoiles.
Dans cette drôle d'odyssée, un des trucs les plus drôles a été de voir les mecs d'ABC - le journaliste et le JRI étaient français, chapeau! - tourner leurs plateaux "in situ" : des jeunes du quartier sont venus se percher sur les énormes sacs de déchets derrière le journaliste, sans que personne ne leur ait rien demandé! Ils avaient compris d'eux-mêmes comment faire "plus vrai", plus "couleur locale", comment jouez leur propre rôle en somme... ah, la Société du Pestacle, qu'il disait.
"We are in one of the most poor areas in Cairo, yet some people here are looking towards a greener future..." (ou quelque chose comme ça)
Il y avait aussi Kiyoko, une Américaine d'origine japonaise de la Banque Mondiale (j'avais un mal fou à la comprendre). Une petite dame discrète, qui semblait étourdie par toute cette misère. "Ah bon, vous avez commencé à trier les déchets à 7 ans!! Oh la la! Votre femme s'occupe des enfants des rues!! Mon Dieu! Et vous avez aussi donné des cours à de jeunes handicapés mentaux!"
Pierre, un entrepreneur égyptien plutôt jovial, était de l'équipée. Il est arrivé au rendez-vous dans son 4X4 intérieur cuir (conduit par un chauffeur, cela va sans dire), les mocassins cirés et le téléphone oreillette fiché sur le lobe. C'est un ami d'Omar, l'ingénieur égyptien impliqué dans le projet. Avant de se lancer dans l'énergie verte, Omar a travaillé pour une société pétrolière en Australie...
L'entrepreneur donc, un homme d'une trentaine d'années qui parlait parfaitement français - avec un accent pied-noir (!) - traversait pour la première fois la Cité des morts, et pénétrait pour la première fois dans le quartier des chiffonniers. Vous me direz, si l'on est pas un journaliste ou un étranger curieux, pourquoi diable aller fourrer son nez là où ça sent mauvais? Lui venait pour voir ce qu'on pouvait tirer de la machine à gaz écolo, niveau business.
Mais une chose rassemble les Egyptiens (enfin, ceux qui voyagent) : les contrôles douaniers en arrivant aux Etats-Unis. Malgré ses yeux bleus et son prénom très chrétien, Pierre raconte en se marrant qu'il a systématiquement droit au "veuillez me suivre", pour quelques minutes d'interrogatoire dans une salle spéciale, quand il débarque dans un aéroport américain.
Manshiet Nasser, ses monceaux de déchets, ses chèvres perchées au 6e étage...
Bref, tout ça était très intéressant. Pourtant à la fin de la journée, je me demandais toujours : au fait... est-ce que ce système de biogaz est intéressant financièrement pour les habitants de Manshiet Nasser et Darb al Ahmar? Si on leur donne grâcieusement la machine à gaz, comme c'est le cas pour Hanna Fathy (ci-dessous avec sa môman), et Hussein Souleiman, les deux "cobayes" de cette expérience écologique, c'est effectivement rentable. Mais d'après mes calculs, si les habitants paient ne serait-ce que 300 livres (environ 50 euros), soit l'équivalent, pour beaucoup, de leur revenu mensuel, sur les 1000 livres que coûte la machine, elle ne deviendra moins chère que les "emboubas" (bouteilles de gaz) qu'après deux ans et demi. C'est un peu long, non? Se dire que l'on fait du bien à la couche d'ozone ne doit pas vraiment suffire...
Sur ces interrogations, je vais dormir un peu pour m'envoler bientôt sereinement vers la Mère-Patrie.
mercredi 13 mai 2009
Chantons pour les cochons
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager la savoureuse chanson anti-cochons écrite et interprétée par Chaaban Abdel Rahim, alias Cha'boula, un chanteur populaire égyptien. Le blogueur égyptien Mina Zekry nous fournit une version sous-titrée en français sur le site "Les Observateurs" de France 24. Sur la même page, lire l'avis de Magdi Abdel Fatah sur l'abattage des porcs. Comme beaucoup d'autres, cet éleveur de porcs du quartier de Manchiyet Nasser pense que le gouvernement veut récupérer les terres des chiffonniers pour faire de la promotion immobilière.
Cha'boula, champion du kitsch et de la réflexion politique en musique, s'était déjà illustré par son tube "I hate Israel". Il a décidé cette fois de s'emparer du sujet brûlant de la grippe "porcine", pour recommander aux Egyptiens de fuir à toutes jambes s'ils croisent l'animal honni. Histoire de ne pas laisser les théories fumeuses de l'Organisation mondiale de la santé - le virus H1N1 ne se transmet pas par les porcs - gagner du terrain en Egypte.
Lire la dépêche assez drôle d'Associated Press sur le sujet, qui se demande très justement si le chanteur se prend au sérieux, ou s'il fait tout ça "tongue in cheek".
Pendant ce temps, le gouvernement égyptien annonce avoir tué près de 30 000 porcs. Quelques 2000 d'entre eux ont été abattus dans les règles et leur viande a été congelée. Mais plus de 26 000 carcasses ont été enterrées dans de grandes fosses près du Caire. A ceux qui craignent une contamination des sols par les restes des animaux en putréfaction, Ibrahim El Bendary, de l'Autorité centrale des services vétérinaires, assure qu'ils sont enterrés "très profond" (source Daily News Egypt). Espérons simplement que le gouvernement égyptien ne provoque pas l'apparition d'autres maladies en abattant les porcs...
Cha'boula, champion du kitsch et de la réflexion politique en musique, s'était déjà illustré par son tube "I hate Israel". Il a décidé cette fois de s'emparer du sujet brûlant de la grippe "porcine", pour recommander aux Egyptiens de fuir à toutes jambes s'ils croisent l'animal honni. Histoire de ne pas laisser les théories fumeuses de l'Organisation mondiale de la santé - le virus H1N1 ne se transmet pas par les porcs - gagner du terrain en Egypte.
Lire la dépêche assez drôle d'Associated Press sur le sujet, qui se demande très justement si le chanteur se prend au sérieux, ou s'il fait tout ça "tongue in cheek".
Pendant ce temps, le gouvernement égyptien annonce avoir tué près de 30 000 porcs. Quelques 2000 d'entre eux ont été abattus dans les règles et leur viande a été congelée. Mais plus de 26 000 carcasses ont été enterrées dans de grandes fosses près du Caire. A ceux qui craignent une contamination des sols par les restes des animaux en putréfaction, Ibrahim El Bendary, de l'Autorité centrale des services vétérinaires, assure qu'ils sont enterrés "très profond" (source Daily News Egypt). Espérons simplement que le gouvernement égyptien ne provoque pas l'apparition d'autres maladies en abattant les porcs...
samedi 9 mai 2009
La bataille du cochon
Depuis dix jours, la planète journalistique cairote tourne autour du cochon. Le 29 avril dernier, le gouvernement égyptien a en effet décidé d'abattre tout le cheptel du pays.
D'abord annoncée comme un acte de prévention face aux risques de transmission de la grippe dite "porcine", la décision a finalement été présentée par les autorités comme une mesure de "santé publique", une fois que l'Organisation mondiale de la santé avait rappelé qu'aucun malade n'avait été contaminé par les porcs, et que cette mesure était inutile pour combattre le virus H1N1. Aucun cas de grippe A n'a pour l'instant été recensé en Egypte.
Le gouvernement dit vouloir éradiquer les élevages sauvages du pays pour installer, dans un an ou deux, des élevages respectant les règles d'hygiène internationales.
Le week-end dernier, de violents affrontements ont opposés les forces de l'ordre aux éleveurs cairotes qui refusaient de livrer leurs bêtes. J'ai fait un papier pour La Croix sur le sujet, paru mardi. A lire aussi le reportage de Ludovic Gonty sur le site de Ouest France.
Ma première réaction a été de voir dans cette décision une tentative du pouvoir de s'attirer les bonnes grâces des islamistes : les jours précédents l'annonce, de nombreux députés de l'Assemblée du Peuple, notamment ceux proches des Frères musulmans, avaient réclamé à cor et à cri l'éradication des porcs du pays, élevés en majorité par les zabalines, des chiffonniers, coptes pour la plupart (minorité chrétienne qui représente 7 à 10% de la population égyptienne).
Mon interprétation était un peu simpliste... J'ai perçu au fur et à mesure la complexité de la décision. Plusieurs causes entrent en jeu, et je ne connais probablement pas assez bien l'Egypte pour toutes les comprendre. Mais l'une d'elles me paraît maintenant essentielle : la volonté du gouvernement de se débarrasser, à terme, du système des zabalines, qui collectent et trient une grande partie des déchets de la capitale égyptienne. L'objectif est de les remplacer par des sociétés privées, considérées comme plus propres, plus modernes. Elles sont d'ailleurs présentes sur le marché du ramassage des ordures du Caire depuis 2000, suscitant de nombreux conflits avec les zabalines. Et cela n'a rien à voir avec la religion des chiffonniers et des éleveurs de porcs, dont quelques-uns sont d'ailleurs musulmans. L'Etat égyptien avait depuis des années le projet de déplacer ces cochons, et l'occasion était trop belle.
"Avant on collectait les poubelles dans les immeubles, maintenant ce sont des sociétés qui le font", racontait ainsi lundi dernier Oum Samae, une habitante du Muqattam, un des quartiers de chiffonniers du Caire. Dans une cour attenante à sa maison de bric et de broc, elle élève une cinquantaine de porcs. Ses enfants gambadent pieds nus parmi les déchets qui tapissent le sol de la bicoque. Comme dans tout le quartier, les cochons sont nourris avec les ordures organiques collectées dans les poubelles du Caire. Ils constituent un maillon essentiel dans la chaîne du recyclage.
"La semaine dernière, à Sayyeda Zeinab (quartier du centre du Caire) des policiers ont confisqué la carriole de mon fils Faouzi. Ils ont dit que c'était interdit en ville. C'est avec cette cariole, tirée par un âne, qu'il ramenait les poubelles jusqu'ici. Maintenant il reste à la maison toute la journée", raconte encore Oum Samae. Petit à petit, les zabalines voient ainsi leurs moyens de subsistance disparaître. On comprend qu'ils finissent pas se sentir persécutés, même s'il ne s'agit pas de religion.
Bien sûr, en lançant cet abattage massif des porcs, le pouvoir savait qu'il n'aurait pas trop de mal à convaincre les Egyptiens du bien fondé de la mesure. D'autant que les médias ont, dans un premier temps, abondé dans son sens, désignant le porc comme vecteur de la maladie. La semaine dernière, les Egyptiens musulmans à qui je "révélais" que la maladie se transmettait en fait d'homme à homme avaient bien du mal à me croire.
Les arguments sanitaires ne sont pas pour autant sans fondement : certains scientifiques parlent d'un risque de recombinaison du virus de la grippe aviaire à l'intérieur du cochon, qui permettrait ensuite sa transmission d'homme à homme (voir le petit schéma sur le site du CNRS). Dans un pays fortement touché par la grippe aviaire - 69 cas humains, dont 26 mortels depuis 2006-, et alors que les porcs des chiffonniers vivent souvent à proximité des poulets et jamais très loin des hommes, il y a de quoi s'inquiéter, certes. De là à abattre tout le cheptel porcin d'un coup d'un seul...
On annonçait samedi que 11 591 porcs avaient pour l'instant été éliminés. Mais l'opération d'éradication du cochon égyptien a des chances de finir en eau de boudin. Pour l'instant, la capacité des deux abattoirs de porcs du pays (l'un au Caire et l'autre à Alexandrie) ne dépasse pas 2000 bêtes par jour. L'Egypte devrait donc mettre au moins cinq mois à éradiquer ses quelques 300 000 porcs. Les chambres froides aussi ont une capacité limitée, et les éleveurs ne parviennent plus à vendre la viande.
Pour accélérer le rythme, le gouvernement a annoncé l'importation prochaine de trois nouvelles machines. "Il n'y a que 156 000 cochons en Egypte", vient également de faire savoir Saber Abdel Aziz, porte-parole du ministère de l'Agriculture. Pour pouvoir s'arrêter à mi-chemin? Ce serait un moindre mal pour les quelques 50 000 éleveurs de porcs égyptiens qui ont peur que les compensations promises - 100 livres (14 euros) pour un porc et 250 livres (34 euros) pour une femelle - ne leur parviennent jamais. Et surtout ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins une fois leur gagne-pain disparu.
D'abord annoncée comme un acte de prévention face aux risques de transmission de la grippe dite "porcine", la décision a finalement été présentée par les autorités comme une mesure de "santé publique", une fois que l'Organisation mondiale de la santé avait rappelé qu'aucun malade n'avait été contaminé par les porcs, et que cette mesure était inutile pour combattre le virus H1N1. Aucun cas de grippe A n'a pour l'instant été recensé en Egypte.
Le gouvernement dit vouloir éradiquer les élevages sauvages du pays pour installer, dans un an ou deux, des élevages respectant les règles d'hygiène internationales.
Le week-end dernier, de violents affrontements ont opposés les forces de l'ordre aux éleveurs cairotes qui refusaient de livrer leurs bêtes. J'ai fait un papier pour La Croix sur le sujet, paru mardi. A lire aussi le reportage de Ludovic Gonty sur le site de Ouest France.
Ma première réaction a été de voir dans cette décision une tentative du pouvoir de s'attirer les bonnes grâces des islamistes : les jours précédents l'annonce, de nombreux députés de l'Assemblée du Peuple, notamment ceux proches des Frères musulmans, avaient réclamé à cor et à cri l'éradication des porcs du pays, élevés en majorité par les zabalines, des chiffonniers, coptes pour la plupart (minorité chrétienne qui représente 7 à 10% de la population égyptienne).
Mon interprétation était un peu simpliste... J'ai perçu au fur et à mesure la complexité de la décision. Plusieurs causes entrent en jeu, et je ne connais probablement pas assez bien l'Egypte pour toutes les comprendre. Mais l'une d'elles me paraît maintenant essentielle : la volonté du gouvernement de se débarrasser, à terme, du système des zabalines, qui collectent et trient une grande partie des déchets de la capitale égyptienne. L'objectif est de les remplacer par des sociétés privées, considérées comme plus propres, plus modernes. Elles sont d'ailleurs présentes sur le marché du ramassage des ordures du Caire depuis 2000, suscitant de nombreux conflits avec les zabalines. Et cela n'a rien à voir avec la religion des chiffonniers et des éleveurs de porcs, dont quelques-uns sont d'ailleurs musulmans. L'Etat égyptien avait depuis des années le projet de déplacer ces cochons, et l'occasion était trop belle.
"Avant on collectait les poubelles dans les immeubles, maintenant ce sont des sociétés qui le font", racontait ainsi lundi dernier Oum Samae, une habitante du Muqattam, un des quartiers de chiffonniers du Caire. Dans une cour attenante à sa maison de bric et de broc, elle élève une cinquantaine de porcs. Ses enfants gambadent pieds nus parmi les déchets qui tapissent le sol de la bicoque. Comme dans tout le quartier, les cochons sont nourris avec les ordures organiques collectées dans les poubelles du Caire. Ils constituent un maillon essentiel dans la chaîne du recyclage.
"La semaine dernière, à Sayyeda Zeinab (quartier du centre du Caire) des policiers ont confisqué la carriole de mon fils Faouzi. Ils ont dit que c'était interdit en ville. C'est avec cette cariole, tirée par un âne, qu'il ramenait les poubelles jusqu'ici. Maintenant il reste à la maison toute la journée", raconte encore Oum Samae. Petit à petit, les zabalines voient ainsi leurs moyens de subsistance disparaître. On comprend qu'ils finissent pas se sentir persécutés, même s'il ne s'agit pas de religion.
Bien sûr, en lançant cet abattage massif des porcs, le pouvoir savait qu'il n'aurait pas trop de mal à convaincre les Egyptiens du bien fondé de la mesure. D'autant que les médias ont, dans un premier temps, abondé dans son sens, désignant le porc comme vecteur de la maladie. La semaine dernière, les Egyptiens musulmans à qui je "révélais" que la maladie se transmettait en fait d'homme à homme avaient bien du mal à me croire.
Les arguments sanitaires ne sont pas pour autant sans fondement : certains scientifiques parlent d'un risque de recombinaison du virus de la grippe aviaire à l'intérieur du cochon, qui permettrait ensuite sa transmission d'homme à homme (voir le petit schéma sur le site du CNRS). Dans un pays fortement touché par la grippe aviaire - 69 cas humains, dont 26 mortels depuis 2006-, et alors que les porcs des chiffonniers vivent souvent à proximité des poulets et jamais très loin des hommes, il y a de quoi s'inquiéter, certes. De là à abattre tout le cheptel porcin d'un coup d'un seul...
On annonçait samedi que 11 591 porcs avaient pour l'instant été éliminés. Mais l'opération d'éradication du cochon égyptien a des chances de finir en eau de boudin. Pour l'instant, la capacité des deux abattoirs de porcs du pays (l'un au Caire et l'autre à Alexandrie) ne dépasse pas 2000 bêtes par jour. L'Egypte devrait donc mettre au moins cinq mois à éradiquer ses quelques 300 000 porcs. Les chambres froides aussi ont une capacité limitée, et les éleveurs ne parviennent plus à vendre la viande.
Pour accélérer le rythme, le gouvernement a annoncé l'importation prochaine de trois nouvelles machines. "Il n'y a que 156 000 cochons en Egypte", vient également de faire savoir Saber Abdel Aziz, porte-parole du ministère de l'Agriculture. Pour pouvoir s'arrêter à mi-chemin? Ce serait un moindre mal pour les quelques 50 000 éleveurs de porcs égyptiens qui ont peur que les compensations promises - 100 livres (14 euros) pour un porc et 250 livres (34 euros) pour une femelle - ne leur parviennent jamais. Et surtout ne leur permettent pas de
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