dimanche 22 mars 2009

Alexandrie, ah !


Samedi 14 mars, premier voyage à Alexandrie... Une respiration après deux mois au Caire.

Quand j'arrive, le ciel est plombé. Une demi-heure plus tard, un orage inonde la ville. Je me réfugie à l'intérieur de la fameuse Bibliotheca Alexandrina. L'enfilade des salles de lectures, disposées en escalier sous un plafond à claire-voie, est magnifique.

Le lendemain, le soleil est de retour. Je flâne le long de la Corniche, entre les barques de pêcheurs.


Je me régale d'une daurade... J'en rêvais depuis longtemps!




Mon amie Shahinaz, dont la famille habite ici, me fait une visite guidée. Elle m'emmène à la mosquée Abou Abbas Al Mursi, construite au début du XXe siècle par Mario Rossi, un Italien converti à l'islam, sur le modèle des mosquées andalouses. Les moulures à l'intérieur sont superbes. Pour la première fois, je me retrouve dans une mosquée à l'heure de la prière. On est samedi soir, il y a peu de monde. Nous sommes dans la partie des femmes. Avant la prière, elles se rassemblent pour papoter et boire un Sprite entre amies. Les enfants rigolent et gambadent sur les tapis pendant que leurs mères et leurs grandes soeurs (celles qui ont plus de 8 ans en gros, très appliquées) remplissent leur devoir religieux. Certains gamins imitent les "grands" en exagérant les gestes de la prière...




Le lendemain, c'est dimanche. Je cherche une église pour rencontrer des Coptes, des vrais! Je trouve quelque chose qui y ressemble, je rentre et j'assiste à la messe... assez longue, orthodoxe jusqu'au bout des cierges, mais dans une langue qui ne ressemble pas à l'arabe, et donc ne doit pas être du copte. Ca sonne plutôt comme du russe à mon oreille... La plupart des fidèles ont plus de 60 ans. De jeunes Africains en soutane assistent les prêtres aux longues barbes. Je commence à douter : ces chrétiens-là sont-ils coptes?
Une fois la messe terminée, une dame d'une cinquantaine d'années, coiffée et maquillée avec soin, m'invite à goûter une pâtisserie préparée pour l'occasion. "Je m'appelle Lilika, je suis la seule à porter ce nom à Alexandrie!" m'assure-t-elle. Elle parle un français parfait, en roulant délicieusement les "r". J'apprends alors que mes hôtes sont... des Grecs orthodoxes.
Quant aux jeunes Africains, ils sont eux aussi grecs orthodoxes (!), et viennent d'Ouganda, de Tanzanie et du Zimbabwe. Ils sont une quinzaine à bénéficier d'une formation générale au sein du monastère, qui ne compte plus que quatre moines. "Ils apprennent le grec et la théologie, mais aussi l'anglais, la botanique... Ils ne sont pas obligés de devenir prêtres ensuite. Le but est de leur donner un savoir qui leur permettent de participer au développement de leur pays", m'explique le Père Savas, le chef du monastère, assez méfiant envers la journaliste que je suis. "Nous avons de bonnes relations avec les autorités égyptiennes, nous ne voulons pas avoir de problèmes", me dit-il. Pour que l'on se comprenne, Jehanne fait la traduction, en français s'il-vous-plaît. Elle est libanaise, née à Alexandrie, de confession grecque orthodoxe. Vous suivez? Ah la la, le Moyen-Orient compliqué!

"Officiellement, 1500 Grecs sont enregistrés auprès du consulat à Alexandrie. Mais en réalité nous ne sommes que 350", explique le Père Savas. "Quand j'étais enfant, il y avait plus de 60 000 Grecs", me dit Lilika. "La nouvelle génération ne reste pas, ils vont faire leurs études en Grèce, et la plupart s'installent là-bas ensuite." Parmi les enfants de Jehanne, les deux premiers sont restés à Alexandrie, Karim et Inji, sa fille. Mais le plus jeune, Nadim, fait ses études à Beyrouth. "C'est le seul qui a réussi les examens d'entrée à l'université. Le niveau est beaucoup plus élevé qu'en Egypte", explique-t-elle avec fierté.

Lorsque j'évoque les affrontements de 2005 et 2006 entre coptes et musulmans à Alexandrie (qui ont fait à chaque fois entre un et trois morts), Jehanne hésite. "Pour moi c'est le résultat de l'ignorance plus que du fanatisme. Les vieux Egyptiens connaissent toutes nos fêtes, mais la jeune génération ne sait pas ce que c'est qu'un chrétien. Parfois certains me demandent : "qu'est-ce que ça veut dire orthodoxe?" Tout cela a du partir d'une bagarre entre deux personnes, et il se trouve que l'un était musulman et l'autre copte, par hasard. Ensuite ils ont pris la religion comme prétexte", estime-t-elle. Puis elle ajoute : "mais c'est vrai qu'il y a une sensibilité par rapport à ça en ce moment". Comprenez, par rapport à la religion.

Ces vieilles dames élégantes m'invitent à venir déjeuner au club grec, sur la Corniche. Je préfère poursuivre ma promenade. En redescendant la rue Nabi Daniel, je passe devant un grand bâtiment, en retrait par rapport à la rue. On dirait une autre église. Mais lorsque je vois les policiers et les militaires postés devant, autour d'une jeep de l'armée, je me dis que c'est peut-être la synagogue dont m'a parlé Shahinaz, un autre vestige de l'Alexandrie cosmopolite...



L'officier me demandent mes papiers : "ah, you are french!". J'imagine que c'est plus facile pour moi que pour un Egyptien de visiter l'édifice... A l'intérieur, on photocopie soigneusement mon passeport, avant de me faire pénétrer dans la synagogue. Puis le président de la communauté juive de la ville, Jo Youssef, me raconte l'histoire du bâtiment. "Cette synagogue a été construite en 1890. Elle ressemble à une église n'est-ce pas? Tous mes amis chrétiens me le disent! A l'époque, il y avait 35 000 Juifs à Alexandrie. Aujourd'hui, il y a 24 Juifs, 20 femmes et quatre hommes, qui ont tous plus de 70 ans. Moi je suis un jeunot, j'ai 53 ans!" me dit-il en riant. "Certains sont riches, d'autres sont de vieilles dames très pauvres." Il m'explique que des donations viennent d'Israël et des Etats-Unis pour aider ces "derniers des Mohicans", ceux qui n'ont pas voulu partir lorsque les Juifs d'Alexandrie ont immigré vers Israël, les Etats-Unis ou l'Europe dans les années 1950.

Sur les bancs de la synagogue, il reste les noms de ceux qui les ont occupés.




Avant de quitter Alexandrie je fais un petit tour jusqu'à la citadelle, au bout de la corniche.
Il y a plus d'Egyptiens que de touristes qui s'y promènent. Deux jeunes filles m'abordent, curieuses de savoir qui je suis, ce que je fais là... Comme ça m'est arrivé plusieurs fois en Egypte. Mon niveau rudimentaire d'ameyah (arabe égyptien) limite la conversation, mais elles insistent pour que je les prenne en photo... Voici donc Basma et Boussi, les premiers visages de ce blog!





J'avoue que j'ai encore du mal à prendre "franchement" les gens en photo. Du coup, ils sont souvent de dos! Les réactions sont parfois négatives, et ça instaure un rapport bizarre, on discute avec des gens, d'égal à égal, et tout à coup il faut leur dire : "je peux vous prendre en photo?" Soit on se met dans la position du touriste, soit dans celle du journaliste, et là, il faut argumenter longtemps avant que les gens acceptent de se faire tirer le portrait. Mais bon, il faut ce qui faut pour pouvoir raconter des histoires!



Chem El Nessim

"Chem El Nessim", "Hume la brise", disent les Egyptiens au printemps, pour évoquer la brise légère qui vient souffler sur la vallée du Nil. Cette devise peut faire sourire, quand on habite au Caire et que l'on respire chaque jour son atmosphère délicieusement polluée...
Mais voilà, l'expression me plaît, et j'ai décidé de l'adopter pour ce blog plus personnel que professionnel. Certains diront que ce n'est pas très original, puisque "El Nessim" était déjà le titre du journal-école, fait au Caire, auquel j'ai participé en avril 2007. Et bien... j'en profite pour rendre hommage à cette belle expérience, grâce à laquelle j'ai fait connaissance avec ce pays étrange et fascinant. Jetez-y un coup d'oeil, ça vaut le détour...

Sur ce blog, je veux faire partager ma découverte de l'Egypte au jour le jour. J'ai posée mes valises ici le 15 janvier dernier, pour travailler comme journaliste pigiste, et notamment comme correspondante n°2 du journal La Croix. Je suis arrivée juste après le cessez-le-feu à Gaza, un mois plus tard une bombe explosait dans le quartier touristique de Khan el Khalili, au Caire...
L'idée de ce blog est d'aller au-delà de ces événements bruyants et de dire quelques mots de mon quotidien en Egypte. Le regard étonné d'une étrangère, pour parler de cette société moins endormie qu'on peut le croire au premier abord.

Nina Hubinet
Le Caire, 23 mars 2009